Laisse Lucie faire


Laisse Lucie faire




            La situation n’avait que trop duré. Me croyait-elle suffisamment stupide pour avaler toutes les salades qu’elle me racontait pour tenter de m’amadouer et calmer mes soupçons ? Je n’étais pas aveugle sur ses tromperies et ses simulacres d’excuses pour justifier ses retards et ses absences. Aujourd’hui, je voulais plus que tout couper court à toutes ces simagrées, cette illusion d’honnêteté dont je croyais notre couple garant et qui me faisait fermer les yeux sur cette trop triste vérité. Trop longtemps elle a joué de mon amour à son égard en me roulant dans la farine avec ses mots doux et son regard de velours qui me faisait alors courber l’échine pour la garder. Mais à présent, cette colère grouillant en moi avait enkysté notre histoire. Aussi étais-je bien décidé à ne plus me laisser prendre à son jeu pour lui rentrer dans le lard et la cuisiner jusqu’à ce qu’elle reconnaisse les faits. Il était venu pour moi le moment de prendre les devants afin de trancher dans le vif.
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            La première fois que j’ai rencontré Lucie, c’était à l’occasion de cette fête de fin d’année organisée par des amis où nous nous délections de macarons gourmands arrosés de champagne. Son arrivée électrisa la pièce entière, agitant d’une tension très particulière mes pairs tandis la gente féminine se figea dans une hostilité à peine masquée. Lucie fait partie de ces personnes dotées par la nature de cet indéfinissable charme qui hypnotise le regard et auquel vous succombez ou résistez sans demi mesure. C’est une beauté naturelle et lumineuse que les artifices féminins ne font que sublimer. Mais plus encore que sa plastique irréprochable, c’est son regard clair et sa voix grave qui me séduirent tandis que j’entendais éclater son rire franc pour la première fois, une coupe de champagne à la main.

            Et la magie de l’histoire s’opéra. Le blanc cygne s’éprit du vilain petit canard que j’étais. Notre love affair débuta dans une explosion d’émotions, un amour passionnel attisé d’un feu ardant. Lucie était ma fierté et, à mon bras, le torse bombé, je me sentais flotté, mes jambes ne semblant plus me porter. Elle était à moi. J’occupais ses pensées, tout comme ses journées et ses nuits. Notre bonheur comme un étendard, nous évoluions dans un quotidien photoshopé en mode made in love. Toujours ce besoin irrépressible de saisir sa main ou d’échanger un fougueux baiser, même en compagnie des autres. J’aimais la dévorer des yeux lorsqu’elle ne se savait pas observée. A la faveur du reflet d’une glace parfois, ou hors de sa vue le plus souvent, j’épiais ses gestes qui me faisaient fondre. Sa nuque, la chute de ses reins, ses lèvres me rendaient fou d’amour. Alors, plus rien d’autre ne comptait que lui prendre la main pour l’attirer à moi avec l’idée obsédante de pouvoir m’enrouler autour de son corps telle une liane et la serrer intensément.

            Sentir sa peau nue contre la mienne, son souffle et ses longs cheveux fouettant mon torse achevaient de me faire perdre la tête. Je resserrais l’étreinte toujours plus fort, sa respiration se faisant plus haletante, mêlée à la fois d’excitation et d’asphyxie. Comme un barrage prêt à rompre sous la puissance des flots, mes bras, bien incapables de lui prouver cet amour débordant, auraient voulu la serrer plus fort encore.  L’enlacer à lui briser les os. L’empoigner pour fusionner nos deux corps et ne faire plus qu’un, chaque particule de mon anatomie se liant définitivement aux siennes. Mais aucune position référencée dans le kamasutra  ne réussissait à satisfaire ce besoin.

            Alors, sous mes passionnés assauts, je la pénétrais ardemment par tous ses orifices, cherchant à tromper mes sens pour faire mien cet autre obsédant. D’abord en douceur, je jouais de mon sexe, l’extrémité de ma verge stimulant son désir en titillant son clitoris, jouant de sa feuille de rose ou se perdant au coin de ses lèvres glossées pour accroître encore, au creux de ses reins, son envie de moi. Après cette mise en bouche, j’attendais de  la voir perdre le contrôle, guettant le moment où elle déposerait enfin les armes en empoignant fermement mes fesses de ses deux mains en m’implorant silencieusement de m’enfoncer au plus profond de son corps avec ce vigoureux appendice qu’elle vénérait.

            A l’écoute de nos désirs, je lâchais alors les brides tenues jusqu’à présent fermement en main, laissant mes ondulations se faire toujours plus intenses, dilatant davantage encore ses différents points d’ancrage où j‘aimais à me perdre. L’esprit empli de fantasmes, j’espérais que, tel mon sexe besogneux, mon être tout entier soit aspiré à l’intérieur de son anatomie, ses entrailles comme un sanctuaire où me fondre. La chevauchée fantastique se faisait alors ardente et dans une chorale de cris rauques, nous atteignions enfin l’état extatique. Ce soulagement bestial des sens me laissait néanmoins toujours cet arrière goût de fusion incomplète de deux corps certes étendus côte à côte, couvert d’un poisseux mélange de transpiration, foutre et liquide séminale, mais à nouveau séparés. Pourtant, en dépit de la frustration récurrente de cette love affair, toujours je revenais à cette « love à faire », son anatomie comme une drogue et nos ébats comme une chorégraphie libre entêtante.
           
            Ainsi donc, rien ne m’obsédait plus que Lucie. Le plus difficile peut être était lorsque nous n’étions pas ensemble. Ne pas savoir ce qu’elle faisait, qui elle rencontrait, me faisait mal. L’impossibilité de partager en simultanée ces émotions simples qui parsèment le quotidien me frustrait. Heureusement, les nombreux sms que nous échangions compensaient la distance. Nous nous noyons de messages aussi anodins que langoureux dont les vibrations du mode silencieux de nos mobiles rythmaient notre quotidien au gré de nos « je pense à toi », « que manges-tu ? ». Mais l’inquiétude grandissait lorsque Lucie oubliait de rallumer son portable ou de répondre à mon message dans les cinq minutes qui suivaient l’envoi du mien. Pour quelle raison ne répondait-elle pas ? Avait-elle eu un accident ? Son portable était-il en panne ? Ne voulait-elle pas être dérangée ? Pourquoi ne voulait-elle pas l’être si ce n‘est car quelque chose de louche se tramait ? L’angoisse prenait le pas sur la raison et seule une réponse de sa part pouvait finalement souffler le feu de l’inquiétude. Mais sous les braises, le doute couvait cependant toujours.

            Je ne connaissais que trop bien cette façon qu’avaient tous ces hommes en rut dans la rue de dévisager et d’envisager une jeune femme aussi désirable que Lucie. La lubricité de leur pensée me rongeait. J’aurais voulu leur sauter au cou pour mieux le leur tordre, mais je tentais de raison garder, pressant bien plus fort encore contre moi le corps gracile de ma compagne. Le plus insupportable peut être était de supporter l’incapacité de cette dernière à voir ce qui se tramait sous ces regards insistants. Elle était si naïve.  Ne se doutait-elle de rien ? Ou ne voulait-elle rien voir ? Sa fausse modestie me rongeait finalement tout autant que le désir qu’elle suscitait. Dieu seul sait ce qui pouvait se passer lorsque je ne l’accompagnais pas. Ils devaient très probablement l’aborder pour lui proposer une cigarette ou lui glisser quelques compliments agréables. En réponse, elle devait sourire. Et la conversation s’engageait alors, ne sachant trop quelle issue sournoise pouvait atteindre cette rencontre de la hyène et de sa proie.

            Je crois bien que c’est à partir de ce moment-là que mes heures post coïtales virèrent à l‘insomnie, la nuit ne faisant qu’accroître mes douloureuses interrogations. Comment pouvais-je dormir sereinement ne sachant pas si elle était effectivement bien en réunion lorsque mes sms et mes appels échouaient dans le néant ? Si elle se rendait bien à un repas entre copines ? Et si c’était bien son amie Bettany qui l’accompagnait ? A la lueur des lampadaires de la rue se faufilant entre les lamelles de mon volet coulissant, je me torturais l’esprit, recoupant les faits et ses dires pour tenter de me rassurer. Seules des preuves tangibles pouvaient le faire et je me mis en quête d’éléments rassurants.

            Pour cela, il me fallait être au courant de tous ses agissements. Je sentais bien sa résistance à se sentir fliquée comme elle me le disait en me rendant compte de ses moindres faits et gestes, l‘air de rien au détour de mes pseudos innocentes questions du soir au moment du repas. Mais j’en avais que faire car il m’était devenu vital de retrouver ma sérénité. Lucie me disait que je me faisais inutilement du mal car elle m’aimait profondément et que rien ne méritait que je me mette dans des états pareils. Je tentais bien de la croire, mais au fond de moi, le doute subsistait car quand bien même elle me raconterait en détails ses journées, elle ne m’avouerait probablement pas tout, cachant certains éléments bien peu clairs dans son comportement.

            Aussi, un véritable rituel se mit en place lors de mes trop courtes nuits où je me mis à éplucher sa vie cachée. La sachant profondément endormie, j’avais alors tout le loisir de fouiller son sac à la recherche d’éléments compromettants. D’abord, je commençais par son portefeuille et son chéquier à la recherche de tickets de carte bleue ou de mots doux perdus. Je vérifiais par la même occasion si elle s’était bien rendue aux heures dites dans les restaurants dont elle m’avait parlé, si un même endroit n’était pas fréquenté de manière trop suspecte. Ensuite, j’attaquais le téléphone portable en épluchant la liste des numéros composés, des appels passés et en lisant les sms reçus et envoyés. Une fois ces deux mamelles d’informations majeures analysées, je finissais l’examen du sac en farfouillant dans ses multiples poches avant de passer à l’étude de sa boîte mail personnelle et professionnelle dont je connaissais les mots de passe.

            Et c’est au cours d’une de ces investigations nocturnes que ma pire crainte fut confortée. Noyée au milieu des tickets de caisse de son portefeuille, se trouvait une carte de visite au nom de Israël Cardoso. Je voyais déjà Lucie se défendre en tentant de m’expliquer qu’il s’agissait d’une carte professionnelle d’un expert comptable avec lequel elle travaillait. Foutaise ! Pourquoi l’avoir camouflée entre billets et tickets au lieu de la ranger avec toutes les autres ? Nerveusement, je griffonnais les coordonnées de son amant sur le calepin traînant sur le bureau avant d’en déchirer la feuille portant la preuve de son affront et la ranger entre deux pages du premier livre me tombant entre les mains. Ironie de l’histoire, c’était « L’amant » de Marguerite Duras. De quelle preuve supplémentaire avais-je dont besoin lorsque même le hasard confirme vos craintes ?

            Les jours qui suivirent furent les plus éprouvants. Son sourire au saut du lit me faisait vomir tout comme ses « je t’aime » hypocrites. A l’étreinte fougueuse des débuts se succéda des envies de strangulation lorsque je simulais mon orgasme avec cette garce qui m’avait trahi. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Pour l’heure, je préférais feindre en attendant d’accumuler des preuves irréfutables sur sa tromperie éhontée avant d’abattre mes cartes sur table. Après avoir enquêté sur mon rival pour mettre un visage sur un nom, je mis à profit ma pause déjeuner pour l’espionner. La rage me dévora lorsque je les surpris attablés à la terrasse de cette brasserie ensoleillée, face à son bureau, en pleine conversation passionnée, la table couverte de dossiers pour dissimuler leur amour. Ils ne cherchaient même pas à se cacher ! Je l’observais lui lancer ces regards emplis de sous entendus tandis que Lucie lui faisait son trop classique numéro de charme, les mains s’effleurant à peine, le temps de prendre un dossier.

            J’aurais pu intervenir à cet instant précis ou attendre son retour le soir pour aborder le sujet. Mais je préférais taire mes découvertes et poursuivre ma filature car paradoxalement, j’aimais laisser Lucie faire pour ressentir cette rage me rappelant malgré tout l’amour que nous nous portions au départ et qui s’était dilué depuis. Par deux fois, je surpris à nouveau leurs entrevues clandestines, dont une au cabinet de Cardoso. Je l’imaginais laissant glisser langoureusement ses vêtements avant de s’étendre nue sur son bureau où il lui faisait l’amour, ses mains insatiables courant sur son corps diaphane. Je fermais les yeux pour m’ôter cette sordide image de ma tête, mais je voyais désormais ses lèvres s’égarer sur les siennes puis lui mordiller le bout des seins avant que sa langue ne s’aventure plus bas sur son abricot lisse à jouer de son clitoris. Je serrais plus fort les paupières mais la vision de la jouissance de son sexe coulissant en elle me hantait. Ces images comme un mauvais film porno étaient insupportables. 

            Ce jour-là, notre histoire avait atteint le point de non retour. Anéanti, je rentrais à l’appartement et dans l’obscurité du salon aux volets clos, j’attendais l’arrivée de Lucie. Je guettais, assis sur le canapé sur lequel nous avions tant fait l’amour, le si caractéristique bruit de sa clef dans la serrure. Lorsqu’elle entra, elle comprit immédiatement que quelque chose avait changé.  Peut être était-ce mes yeux rougis ou mes mains tremblantes ? Je ne lui laissais pas le temps de la réflexion, lâchant un « Je sais tout pour toi et Israël » accusateur. Elle éclata de rire, me rétorquant qu’il était gay, avant de s’enquérir de la manière dont je connaissais le nom de l’expert comptable avec lequel elle travaillait. Et tel que je l’avais prévu, elle s’enfonça dans ses mensonges toujours plus grossiers, m’expliquant qu’elle ne m’avait jamais parlé de lui afin de ne pas attiser ma jalousie, niant avoir une relation avec lui. Hurlant que j’étais malade, elle préférait me quitter plutôt que de continuer à vivre avec mon étouffante schizophrénie.




            Je n’étais pas prêt à me laisser insulter par cette nymphomane. D’un bond, perdu entre le confortable canapé et la porte d’entrée, je lui sautais dessus pour qu’elle se taise enfin. Nos deux corps tombèrent à même le sol, le chute amortie par l’épaisse moquette. Légèrement sonnée, Lucie tentait de se défaire de mon emprise, mais à ce petit jeu-là, je me savais le plus fort, nos ébats comme autant de répétitions de ce corps à corps. Ma main plaquée sur sa bouche, je lui demandais de taire ses mensonges car je connaissais parfaitement la réalité, ses coups, ses morsures et ses cris attestant que j’avais vu juste. A califourchon sur elle, je bloquais ses bras avec mes jambes et, de mes mains, serrais toujours plus fort ce cou si délicat que j’avais tant mordillé. Rapidement, les spasmes cessèrent et, dans un funèbre gargouillis, laissèrent place à un corps inerte, au visage grimaçant, les membres tordus en tout sens.

            Je la regardais, figée dans cette attitude grotesque, au milieu du salon désormais désordonné, la forçant à m’écouter encore, par delà la mort. « Mon amour, ma lumière, pourquoi as-tu tout gâché avec cet homme, et probablement avec de nombreux autres ? J’ai tellement d’amour pour toi. Nous étions fait l’un pour l’autre. Rappelle-toi de ces moments partagés. Souviens-toi. » Ce faisant, j’ôtais méticuleusement mes vêtements que je laissais choir à terre et m’allongeais sur sa dépouille. Son corps n’était pas encore froid. « Tu as été très vilaine en me trompant, mais malgré cette douleur, sache que je ne cesse de t’aimer. » Je glissais mes mains sous sa robe et lui ôtais sa culotte. Une dernière fois, je voulais lui faire l’amour. L’érection était belle et bien présente mais l’inertie de ma belle acheva de me faire débander. Notre histoire avait toujours mieux valu qu’un coup vite expédié sans orgasme partagé. Piteux, je retirais mon membre devenu flasque de ce vagin que je ne connaissais plus et m’assis sur le canapé de notre amour perdu, non sans lui jeter un regard réprobateur. C’était sa faute si nous en étions arrivés ici.

            Néanmoins, en dépit de ses mensonges et de la souffrance que Lucie m‘avait infligés, je ne pouvais me résoudre à la laisser dans cet état, son corps allait rapidement se décomposer, rongé par les vers. Plus que tout, je désirais la garder auprès de moi et il n’y avait qu’une solution pour cela. Le congélateur de la buanderie était suffisamment grand pour que Lucie s’y love. De l’autre côté de la cloison de la chambre, je la saurai si proche de moi, ayant ainsi tout le loisir de la voir lorsque je le souhaiterai. Cependant, c’était prendre le risque que quelqu’un me l’enlève si mon stratagème venait à être découvert par la police, sa disparition n’allant pas passer inaperçue. Je devais réfléchir et pas me précipiter. La nuit me porterait probablement conseil, me dis-je, traînant finalement Lucie dans notre chambre afin de partager encore une nuit à ses côtés. Ce fut le sommeil le plus réparateur que je vivais depuis des mois, ma douce à mes côtés, libérée de ces vilaines pulsions.

            Au petit matin, c’est la faim qui me réveilla, tiraillant l’estomac. L’esprit apaisé, je me tournais pour déposer un tendre baiser sur les lèvres de Lucie que j’avais étreinte dans mes bras tout au long de la nuit. Sa peau était désormais froide. La mort a cet avantage de rendre frigide la plus volcanique des femmes volages. « Crois-moi ma belle, ton beau Israël n’en a plus rien à faire de toi maintenant. Alors que moi, je suis toujours là. »  lui rétorquais-je avant de quitter la chambre pour préparer mon petit déjeuner. Le nez dans mon assiette de bacon accompagné d’un œuf au plat, je réfléchissais toujours à mon problème. Ils allaient vouloir m’enlever Lucie et je n’étais pas prêt à les laisser faire. Détournant le regard, mes yeux se posèrent sur le set à couteaux de cuisine trônant sur le plan de travail. La solution était là, devant moi, comme une évidence.

            Je me levais pour saisir un des couteaux savamment aiguisé et à la lame profonde avant de me rendre dans notre chambre à coucher. Je grimpais sur le lit et m’assis à califourchon sur elle, comme la veille. La chose était plus aisée ce matin. Elle avait enfin compris que cela ne servait à rien de se débattre avec moi. Je l’aimais. Lentement, je fis glisser la lame de son cou à son sternum. Je ne voulais pas rater mon coup et abîmer une si belle poupée. « Sa gauche est à ma droite . » me répétais-je. «Sa gauche est à ma droite. » Et lorsque je fus à peu près sûr de moi, je plantais mon couteau dans sa poitrine. Le sang gicla mais ma première tentative fut vaine. Trop au milieu. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à ouvrir suffisamment son buste pour aller chercher son cœur. Dans cette pièce désormais d’un rouge sanguin, je creusais ses entrailles, gêné par l’hémoglobine qui troublait ma vision et mes connaissances limitées en anatomie. Glissés dans la chaude cavité que j’avais creusée et où tout était visqueux et gluant, mes doigts prospectaient. Faut vraiment que je change l’ampoule de mon plafonnier, on ne voit décidément rien dans cette chambre lorsque l’on cherche quelque chose ! Après un moment qui me sembla une éternité, je réussis à récupérer ce précieux organe tant convoité, non sans m’aider à nouveau de la lame du couteau .

            Abandonnant mon arme sur le tapis, je retournais dans la cuisine. La poêle du petit déjeuner était encore chaude et crépita lorsque j’y jetais le cœur que je venais d’extraire de Lucie. Une odeur de cochonne brûlée se répandit dans l’appartement entier pendant que je surveillais attentivement la cuisson. S’il y a une chose que je déteste, c’est bien la viande trop grillée. Dix minutes plus tard, je me délectais d’une pièce de choix, aux arômes si particuliers avant de placer comme prévu le reste du corps dans le congélateur pour une éventuelle fringale à venir. M‘étant nourri de ses sentiments contenus dans le cœur, je me réserverais un repas spécial avec les restes de son cerveau pour faire miennes ses pensées secrètes. Refermant le couvercle de sa nouvelle demeure, je lui fis une promesse : « Mon amour, mon cœur, je te garderais toujours à l’intérieur de moi. »

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            Lorsque je repris conscience, je ne reconnus pas immédiatement où j’étais. C’est l’infirmière de garde qui m’expliqua que suite à mon malaise en rentrant de la pharmacie, j’avais été hospitalisé d’urgence pour une occlusion intestinale fulgurante, à deux doigts de la septicémie. Tout me revint en mémoire. Agissant sous le coup de l’impulsion, je n’avais compris mon erreur qu‘après mon repas de fête. En ingérant le cœur de Lucie, je ne pourrais pas le garder éternellement en moi puisqu’il finirait écrasé au fond de la cuvette de mes toilettes. Cette idée sordide et la promesse que je lui avais faite me poussèrent à trouver une solution. Craignant de ne pas réussir à me retenir d’aller à la selle, je me gavais d‘Imodium et de riz pour stopper mon transit, conservant ainsi son cœur enfoui tout au fond de moi. Et voilà aujourd’hui le résultat !

            J’appris rapidement également que mon petit secret avait été découvert par ma mère venue chercher quelques affaires à l’appartement pour me les amener à l‘hôpital. Elle crut entrer dans l’antre de Lucifer en découvrant ma nouvelle déco mêlant désordre et rouge sang. Je souriais en expliquant que c’était avant tout une affaire de goût. Il était évident que personne ne pourrait jamais comprendre mon geste d’amour. Alors, à quoi bon se justifier lors du procès et répondre à leurs questions ? Aussi, je fis parvenir à mes parents, ceux de Lucie et sa sœur qui avait facilité notre rencontre lors de cette fameuse soirée de fin d‘année, un feuillet portant comme seule explication cette citation de Françoise Sagan « J’ai aimé jusqu’à atteindre la folie. Ce que certains appellent la folie, mais ce qui pour moi est la seule façon d’aimer. »














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