Mauvaise alêne
Mon premier meurtre arriva de manière totalement inopinée dans ma morne vie de gardien d‘immeuble. Mais quelle révélation : commettant le crime parfait sans arme ni de mobile, j’étais donc destiné à embrasser cette carrière là ! Même Agatha Christie n’aurait pas fait mieux. Il faut dire que cet assassinat fut accidentel. Comment pouvais-je imaginer que le cœur de Madame Gencenne ne supporterait pas le choc ? En effet, c’est dans les sous-sols de la résidence dans laquelle je travaillais que tout a commencé. Telle une évidence, la découverte tardive de ma vocation m’aspira très naturellement par la suite dans une spirale meurtrière. Cette sensation électrique qui me saisissait aux creux des reins, ce cœur qui s’emballait sous l’effet de l’adrénaline, les paumes des mains légèrement moites, tout me poussait à continuer à tuer pour ressentir de nouveau cette endorphine qui dynamitait enfin ma longue et insipide existence.
En effet, ma vie de concierge n’avait rien de trépidante. Je passais mon temps coincé entre la permanence de ma loge et les couloirs de la résidence à effectuer le ménage et quelques menues réparations. Pendant toutes ces heures, mon imagination vagabondait par delà les murs de la copropriété, visitant ces contrées que je ne verrai jamais sauf sur mon écran de télévision à la faveur de quelques reportages, m’inventant une vie emplie de saveurs et de couleurs. Je fantasmais une vie dans ce quotidien si fade. Même les conversations de mes voisins m’ennuyaient. J’étais donc devenu le pro de l’illusion conversationnelle, rien de plus facile que de sembler captivé par le propos de son interlocuteur tout en continuant simultanément à penser à autre chose. L’important était de hocher la tête de temps à autre et de produire quelques onomatopées bien choisies laissant à penser que j’écoutais de bout en bout l’indigeste bouillie verbale de l’autre.
Ma vie manquant de piment, c’est dans celle des autres que j’allais cherché ce précieux ingrédient. Le péché mignon dont je me délectais était la lecture du courrier des habitants. Ces derniers me chargeaient pendant leurs vacances de ramasser les lettres reçues. Un peu de vapeur et hop, la colle de l’enveloppe n‘offrait plus aucune résistance à ma curiosité. Mais il était beaucoup plus amusant de découvrir le contenu des colis. D’un coup de cutter discret, je fendais le carton pour partir à la pêche aux informations, l’essentiel étant de tomber sur la facture, précieux sésame révélateur du contenu. A côté des produits culturels, je découvrais à ma grande stupéfaction des articles moins conventionnels que l’on préfère acheter sur la toile plutôt que d’affronter les regards dans ces boutiques dites spécialisées.
Ma curiosité allait être davantage mise en appétit par les actes de vandalisme qui défiguraient notre immeuble depuis plusieurs semaines. En effet, les caves et les garages étaient régulièrement fracturés tandis que fleurissaient, même en plein hiver, des tags sur les murs des parties communes. Bref, ces incivilités, comme un affront à mon rôle de gardien d’immeuble, ne pouvaient plus durer. Je fis donc le guet afin de démasquer le coupable. Malheureusement, les nombreuses heures passées à espionner les quatre coins de la résidence furent un véritable échec, si ce n’est les multiples informations croustillantes récoltées sur mes charmants voisins que ces derniers cherchaient bien évidemment à dissimuler aux yeux de tous.
Planqué dans les couloirs, derrière une porte palière ou une plante, j’étais en chasse dans un safari photo qui m’apprit bien plus sur la nature humaine que n’importe quel reportage. J’entrepris une grande classification de mes voisins. Il y a les « près de leur sous » comme la vieille du rez-de-chaussée qui n’ouvrait plus ses volets depuis plusieurs jours, feignant sans doute d’être absente pour éviter de me donner mes étrennes. Cette dernière avait cependant oublié que de l’extérieur de l’appartement, j’entendais crier son poste de télévision. Viennent ensuite les « poudre aux yeux » comme le couple du premier, véritables pancartes publicitaires dont les vêtements siglées en gros Dolce & Gabbana et Dior vous donnent la migraine, vivant tous signes extérieurs de richesse exhibés au détriment du reste. Il reste enfin les « sexuels » comme notre très charmante locataire du rez-de-chaussée et son défilé de messieurs, monsieur Porquez et sa relation adultérine ou bien encore la sex affair clandestine dans les sous sols de l’immeuble entre le fils des Lelouch qui habitaient au second et la fille des Raddad du troisième. Bref, nos semblables, commandés par l’argent et le sexe, auraient pu faire la Une d’un numéro spécial de Voici avec tous ses petits secrets. C’était certes enrichissant, mais mes vandales couraient toujours.
Mon jour de chance arriva enfin lorsque un soir j’entendis un bruit lors de ma tournée quotidienne des caves. Le moment était venu de se débarrasser de ces nuisibles. Réalisant que j’avais oublié de prendre de quoi me défendre, je décrochais un extincteur, les oreilles toujours aux aguets, concentrées sur les bruits métalliques heurtant le sol et provenant probablement d’une cave en train d’être vandalisée. J’avançais à pas de loup, pris une respiration puis me lançais dans le couloir, hurlant pour faire fuir ces indésirables visiteurs, l’extincteur comme un bouclier bien plus que comme une arme. Et là, quelle ne fut pas ma surprise de voir madame Gencenne, dans sa robe de chambre fleurie, les cheveux roulés sur des bigoudis et emballés dans un filet, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, la main crispée sur le cœur. La seconde d’après, elle s’effondrait. Je déposais mon extincteur et m’approchais d’elle. Pas un souffle. Rien. La conne avait fait une crise cardiaque !
Un temps horrifié du drame qui venait de se nouer, je restais figé sur place à scruter son visage ridée. Elle était là, étendue à même le ciment, pâle et déjà raide. Puis vint le temps des questions. Comment pouvais-je imaginer qu’elle serait descendue si tard pour jeter ses poubelles ? Comment pouvais-je savoir que ce bruit métallique que j’entendais résonner n’était en fait que son déambulateur heurtant le sol ? Je ne voulais pas avoir d’ennui. Je refixais mon extincteur et remontais prévenir les pompiers. Personne ne sut jamais rien de ce qui s’était passé ce soir-là. Mais ce terrible accident mortel m’ouvrit des perspectives que j’ignorais jusqu’à présent et j’étais bien décidé à revivre cette excitation. Moi, le modeste gardien d’immeuble, venait de commettre le crime parfait. L’espace d’un instant j’étais devenu Dieu, ayant droit de vie ou de mort sur mes semblables. Certes, certes, c’était une dame âgée au cœur un peu trop fragile, mais la sensation était bien là. Il fallait que je renouvelle l’exploit pour être sûr de toute l’étendue de mon nouveau pouvoir. A trois rues de la résidence où j’œuvrais, il y avait une maison de retraite. Voilà un terrain de chasse idéal sur lequel faire mes armes.
Quelques semaines plus tard donc, je me rendis devant l’entrée principale des Jours Heureux et m’installais sur le banc situé sur le trottoir d’en face. Il fallait que je choisisse un gibier de qualité. Pas trop alerte car je risquerais de m’y casser les dents. Pas trop vieillissant, la tâche n’en serait que trop aisée. Mais surtout, une proie seule. Tapis dans l’ombre d‘un platane, noyé dans cette végétation citadine faite de panneaux et véhicules, l’attente était longue pour le chasseur que j’étais devenu. Soudain, je le vis mon gentil papy, légèrement tremblotant et avançant au pas sur le bord du trottoir. Je me mis à le suivre et, en quelques enjambées, me trouvais juste derrière lui. Une peur. Une peur terrible. Voilà ce qu’il fallait que je lui procure. Je profitais qu’une voiture passe à ses côtés pour le bousculer légèrement, prêt à basculer sur la chaussée, avant de le rattraper in extremis par le bras.
« Vous m’avez sauvé la vie ». Non mais ce n’est pas terrible d’entendre une chose pareille lorsque vous n’espérez qu’une chose, qu’il passe de vie à trépas ! Leçon numéro un : ne pas se laisser tromper par les apparences. Il avait le cœur bien accroché mon petit papy. « J’en ai vu d’autres vous savez pendant la guerre. » En plus de l’humiliation que je venais d’essuyer, je dus supporter son flot de paroles me racontant ses exploits lors de la deuxième guerre mondiale. Je préférais rester sur mes gardes et ne pas me mettre en mode stand-by comme je savais le faire pour m’épargner la purge des conversations inintéressantes.
C’est à partir de cet instant-là, que je pris une grave décision. Il fallait abandonner la stratégie de la peur, trop peu sûre même auprès des personnes âgées, pour une technique bien plus efficace car cette tentative ratée n’avait fait qu’attiser un peu plus mon envie de tuer. De plus, une grande part de frustration liée à l‘absence d’effusion de sang demeurait dans le coup d’essai et de maître qu‘avait été l‘assassinat de ma voisine. Seule une arme à feu pouvait me satisfaire. J’entrepris quelques recherches dans mes placards et retrouvais ainsi un vieux revolver en état de marche ayant appartenu à mon père. Voilà qui ferai parfaitement l’affaire. Je repris donc mon insipide activité professionnelle mais avec tout contre moi au quotidien cette arme au chargeur prêt à être vidé. La tiédeur de mes journées s’estompa à la faveur de la chaleur de la cross que je tâtais d’un geste devenu machinal pour me rassurer de ma toute nouvelle puissance et me sentir redevenir Dieu. Ce sentiment de supériorité lié à la possession de ce revolver et à l’usage éventuel que j’aurais pu en faire me satisfaisait pleinement pour le moment, impatient de trouver le moment opportun pour m’en servir.
Par une nuit étoilée, alors que je rentrais tard d’une soirée passée en compagnie d’amis, j’eus l’occasion de tester ce nouveau pouvoir. Les phares aveuglants de la voiture me précédant ne cessaient de me rappeler que mon allure prudente ne convenait pas à son chauffeur. Rage au ventre. Je feins d’ignorer les appels de ses feux et continuais à mon rythme. Gorge serrée. Puis, il se mit à se rapprocher dangereusement de mon véhicule, gesticulant dans l’habitacle, avant de se résoudre à me doubler en me frôlant et m’inondant d’injures. Mains tremblantes. Ce pauvre imbécile n’aurait jamais dû s’arrêter au feu tricolore qui suivait. Arrêt. Frein à main. Je sortis de mon véhicule, m’approchais de la vitre de l’autre voiture pour y décharger mon revolver. Bang. Bang. Bang. Bang. Bang. Bang. Six coups bien placés dans sa petite gueule de con, tirés l’un derrière l’autre sous l’emprise de cette colère qui m’avait saisi. Silence. Un soulagement immense. D’un calme olympien, je rangeais mon arme dans ma boite à gants et repris le volant, laissant derrière moi le corps sans tête de cet imbécile.
Les jours qui suivirent, j’aurais pu découper tous les articles parus dans la presse. Bien qu’intermittent du crime, j’étais bien plus malin que tous ces psychopathes stupides gardant trace de leurs méfaits, comme autant de preuves de leur crime. Ce meutre me poussait à recommencer. Si je ne voulais pas être pris, il fallait que je n’obéisse à aucune logique pouvant amener à être profilé par des experts. Depuis ce jour, j’ai donc commencé à agir sous le coup de l’instinct, l’occasion faisant le larron. Il y eut malheureusement des ratés qui firent quelques blessés, mais dans l’ensemble, la liste de mes crimes commença à s’allonger.
Camouflé dans la jungle urbaine dont j’étais devenu le principal prédateur, je me faisais invisible et attendais d’avoir dans le viseur ma future proie. Quelle excitation de l’avoir en ligne de mire, de faire basculer son existence d’une seconde à l’autre. Le plus électrisant était que ma victime ne savait pas quel destin tragique je lui avais réservé. Grâce à moi, elle quittait sa médiocre vie pour entrer dans la postérité des gens éliminés par un tueur en série ! Belle promotion pour mes victimes choisies dans un semblant hasard. Car leur point commun était le caractère urticant de ces rencontres fortuites qui agaçaient mon quotidien. Vous savez ces gens qui ont le don de vous énerver comme celui qui vous double dans la file d‘attente, ne respecte pas le code de la route, se croit au dessus des lois. Finalement, j’accomplissais un acte de dévouement total, abrégeant leur misérable vie fade et, par la même occasion, libérant mon prochain de leur joug.
Rapidement, mes crimes firent la Une des quotidiens. Mais qui était ce mystérieux tueur ? Quelle délectation de les voir s’escrimer à trouver un coupable, partir dans des mauvaises directions. Comme je l’avais prévu et espéré, la Police n’arrivait pas à créer de lien tangible entre les différents dossiers. Quelle satisfaction de les mener par le bout du nez ! Sur l’un de mes forfaits, je leur déposais un indice, une photo de Jean Reno, qui ne fit que les égarer un peu plus. Je savais que je ne prenais que peu de risque en leur donnant cette carte majeure pour découvrir mon identité : je m’appelais Léon et tout comme le héros, j’étais nettoyeur. J’éliminais à tour de bras la poussière mais aussi mon prochain. Ma référence au film de Luc Besson me fit hurler de rire sur le moment. Beaucoup moins par la suite lorsque je découvris que la Police avait ignoré l’indice laissé, croyant que ce cliché n’avait aucun lien avec l’affaire qui les occupait. Les cons !
Je décidais donc d’en faire ma signature en déposant sur le corps de mes victimes cette photo trouvée sur le net et imprimée par mes soins, les mains gantées pour ne laisser aucune empreinte digitale. « Jean Reno a encore frappé », tels étaient les gros titres de la presse s’étalant en devanture des kiosques à journaux. La poitrine gonflée, je jubilais intérieurement car plus que d’être connu, c’était mon talent qui était enfin reconnu. Une certaine frustration naissait de la nécessité de garder pour soi ce secret tout en tentant de continuer à mener une existence sans histoire. Pour y remédier, j’ai hésité un temps à aller me confesser pour qu‘au moins quelqu‘un sache qui j‘étais. Mais à quoi bon soulager une conscience qui ne regrettait finalement rien ? De toute façon, le jour où je me décidais enfin, les policiers embarquaient le prêtre de ma paroisse. Je continuais donc ma petite vie sereinement.
Avec le temps, une certaine forme de routine s‘installa et commença à me lasser de la technique opératoire de mes meurtres. L’automatisme de mes gestes pouvaient m’amener à être moins vigilant et commettre une erreur fatale. Ce n’était pas moi qui le disait, mais les enquêteurs dans la série les experts ! De plus, l’éloignement avec mes victimes m’avait permis plus de sécurité mais en contre partie j’avais perdu la peur et l’interrogation dans leur regard. Leur effroi me manquait. Je repartis à la recherche d’une nouvelle arme dans mes armoires. Je décidais de rendre hommage cette fois-ci à mon grand-père, cordonnier, et fis le choix d’une alêne, un charmant petit outil pointu servant à percer le cuir. Quoi de mieux pour trouer la peau de mes futures victimes ? J’exaltais de ma trouvaille et m’entraînais devant mon miroir pour trouver une certaine élégance du geste. Quitte à être un meurtrier, autant le faire avec classe. C’est le moins que je pouvais faire pour rendre hommage à mes victimes qui égaillaient mon quotidien. Je fis mes premières armes sur des moutons achetés chez mon boucher pour un pseudo méchoui n’ayant d’autre but que m’habituer à la résistance de la peau sous mes assauts et trouver le meilleur angle d’attaque pour plus d’efficacité.
Lorsque ma nouvelle technique fut parfaitement opérationnelle, je repartis en chasse, retrouvant ainsi l’excitation de mes débuts si prometteurs. Mon nouvel élu choisi, mon geste se fit donc rapide et précis, direct dans la carotide. Un flot de sang gicla tel un geyser sur le bitume et sur mon visage. Le contact chaud et humide me surprit dans un premier temps puis déchaîna cette excitation que je tentais de contenir depuis ces quelques temps d’abstinence. Plus je frappais, plus la vue de l’hémoglobine m’hypnotisait et me poussait à larder cette personne encore et encore. Je savais que je commettais l’erreur de m’acharner sur ce corps sans souffle. Le risque était immense sur ce parking, en milieu de journée. « Rien ne peut m’arriver. Rien ne peut m’arriver. » Ces moments résonnaient dans ma tête, entre conviction profonde et méthode coué, jusqu’à ce qu’une balle me touche à l’épaule. Je lâchais l’alêne qui roula à terre et me tournais, hébété, vers les képis bleus.
Le lendemain matin, mon visage s’étalait en Une des journaux, dans un article titré « mauvaise alêne : le nettoyeur sous les verrous». La photo de Jean Reno, tout au fond de ma poche, avait eu raison de moi.
pix by мя. м.
En effet... ce fut la mauvaise!
RépondreSupprimerMais plus mauvaise, encore, la poche.
...
(message perso' pour stef')
RépondreSupprimerelle m'éclate, cette nouvelle
-O))